Maître Assane Dioma Ndiaye, ancien président de l’Ondh : «Il y a un déficit de culture démocratique au plus haut niveau de l’Etat»

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assanediomandiayeAncien président de l’Organisation nationale des droits l’homme (Ondh), maître Assane Dioma Ndiaye ne fait pas dans la langue de bois quand il s’agit de défendre les droits de l’homme. Récemment, il s’est illustré dans beaucoup de dossiers brulants, notamment celui des trois présumés terroristes marocains incarcérés au Sénégal et qui attendent leur décret d’extradition. Il s’y ajoute l’affaire d’Abdoulaye Wade Yinghou, mais aussi l’ingérence des milieux maraboutiques dans les affaires judiciaires. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’avocat fait un diagnostic très peu reluisant de la situation des droits de l’homme au Sénégal, et parle de «déficit de culture démocratique au plus haut niveau étatique» 

Maître, vous venez de quitter la tête de l’Ondh après avoir rempli un mandat de trois ans. Quel bilan en tirez-vous ? 

Quant on me portait à la tête de l’Ondh c’était surtout pour essayer de redorer le blason de cette Organisation, qui est la doyenne des Ong des droits de l’homme au sud du Sahara, pour qu’elle retrouve son lustre d’antan. Car on avait constaté à un moment qu’elle semblait voguer dans une sorte de léthargie et qu’elle était plus ou moins supplantée par les autres Ong de défense des droits de l’homme comme la Raddho, Amnesty International… Je me suis évertué, durant ces trois années que j’ai passées à la tête de l’Ondh, à faire en sorte qu’elle retrouve une place de choix dans l’échiquier des droits de l’homme au Sénégal aussi bien d’ailleurs sur le plan interne qu’au niveau international. Je pense que le bilan est plus que satisfaisant puisque l’Ondh aujourd’hui est devenue une organisation majeure qui a été interpellée partout et qui a su s’intéresser à toutes les causes qui interpellent les droits humains au niveau au Sénégal durant ces trois années. Nous avons été à la tête du combat lors de l’examen périodique des droits humains. Cela a été extrêmement important pour informer les partenaires du Sénégal et les organisations des droits de l’homme sur les graves violations des droits l’homme qui se déroulent au Sénégal. 

Maître, doit-on, à votre avis, nourrir des inquiétudes par rapport aux nombreuses bavures imputables aux forces de l’ordre ? 

On peut afficher un certain nombre d’inquiétudes, dans la mesure où la mission des forces de l’ordre est de veiller sur la population et d’assurer la sécurité publique. Mais malheureusement on assiste à des bavures ou des attitudes délibérées d’atteinte à la vie des citoyens. D’une part, on peut l’expliquer par un déficit de formation en droits humains par ceux qui sont chargés du maintien de l’ordre et en même temps dépositaire de la force publique. D’autre part également nous savons que ce sont les éléments de la société qui sous le coup du commandement et exécutent certaines décisions. Ce qui fait que l’ordre de tirer vient le plus souvent du commandement. Autant de faits qui font que nos forces de l’ordre sont depuis un certain temps au-devant de la scène. Malheureusement, ces éléments de la police, de la gendarmerie semblent être des citoyens à part par rapport à l’égalité de tous devant la justice. 

En tant qu’observateur ne craignez-vous pas que demain il y ait des règlements de compte de la part des familles victimes ? 

Peut-être que je n’irai pas loin que dans cette analyse. Mais je voudrai dire que l’injustice, de façon générale, est source de justice privée. L’impunité crée de la frustration et elle ne disparaît jamais. Donc la personne qui estime n’avoir pas eu justice a toujours tendance à se faire justice soi-même. Dans un Etat de droit l’injustice est inconcevable et même à déconseiller. Donc c’est pourquoi nous attirons toujours l’attention des autorités étatiques et judiciaires quand il y a des cas de cette nature. Nous avons encore en mémoire ce cri qui a été lancé par la famille d’Abdoulaye Wade Yinghou. C’est une communauté Manjack qui réclame justice. 

Justement qu’elle est la suite qui a été réservée à cette affaire ? 

C’est une suite qui ne nous satisfait guère. Car pour un cas de flagrant délit, vous constaterez qu’à ce jour aucune personne n’a été inculpée. 

Mais le doyen des juges vient d’entendre la famille de la victime… 

C’est vrai que le doyen des juges a entendu la famille d’Abdoulaye Wade Yinghou. Mais le flagrant délit a ses exigences. Aucun autre citoyen qui aurait été identifiable n’est à ce jour sous mandat de dépôt. On ne peut pas comprendre qu’on puisse laisser ces affaires pourrir. Car il y a des risques de dépérissement des preuves mais également de l’oubli. C’est une situation qui est incompatible avec les exigences d’un Etat de droit. Quant on n’a pas la matérialité des faits on peut prendre son temps dans le cadre d’une enquête où d’une information judiciaire, mais quand les choses sont claires et qu’on a des témoins oculaires qui savent ceux qui ont frappé Abdoulaye Wade Yinghou jusqu’à le tuer, tout cela est devenu un secret de Polichinelle. Par ce qu’on ne peut pas comprendre que des personnes coupables de meurtre puissent vaquer librement à leurs activités au vu et au su de la famille de la victime. 

Vous pensez donc qu’il existe une culture de l’impunité au Sénégal ? 

Là également il y a plusieurs paramètres qui peuvent entrer en jeu. D’une part il y a un déficit de culture démocratique au plus haut niveau étatique. Parce que c’est des choses qui se passent sous nos tropiques contrairement aux autres Etats. Il y a des principes immuables et des réactions qui sont spontanées. Quant une personne commet un délit, quelle que soit d’ailleurs sa position par rapport à la République, sa notoriété ou sa richesse, la justice, elle, est indifférente. Elle ne s’attache ni à la qualité d’une personne ni à sa notoriété. Nul n’est au dessus de la loi. Malheureusement, dans notre pays cela n’est pas la règle. On assiste à une justice à deux vitesses, ou à géométrie variable. Ensuite il y a au niveau le plus bas de la justice où nous savons que les procureurs de la République qui sont les éléments déclencheurs des procédures, les avocats généraux et procureurs généraux sont obligés de se référer à leur hiérarchie avant de prendre un certain nombre de décisions par rapport à des faits souvent jugés sensibles. Cela pose le problème de l’emprise du pouvoir exécutif sur le pourvoir judiciaire. Il se pose un problème d’indépendance de la justice surtout de la part ministère public qui souvent a l’initiative des poursuites. Ceci étant, nous vivons dans une société qui fait l’objet d’intervention d’éléments extérieurs, comme les forces maraboutiques, le voisinage… Ce qui fait que la justice ne peut pas se déployer dans toute sa latitude. L’impunité est le fléau le plus gangrenant de la société. 

Avez- vous dénoncé l’intervention des milieux maraboutiques dans les affaires judicaires lorsque vous étiez à la tête de l’Ondh ? 

Bien entendu nous dénonçons les interventions qui sont souvent invisibles. C’est des choses qui se passent à un niveau où il n’est pas possible d’en apporter la preuve. Dans une affaire qui a défrayé la chronique récemment qui concerne une personne dont je ne veux pas citer le nom, on a entendu les marabouts prendre des positions en proférant des menaces. C’est inacceptable dans un Etat de droit, surtout quand il s’agit d’enquête au niveau de la Dic. Et malgré tout on ne note aucune réaction officielle. Je pense qu’il appartiendra à l’Etat de réagir parce qu’on ne peut pas faire de la pression sur la justice. Même si c’est votre talibé ou votre serviteur qui est mis en cause dans le cadre d’une enquête. C’est des choses inacceptables. 

Mais je pense que le premier responsable de cette situation c’est l’Etat qui tolère cela. C’est des choses qu’il faut condamner au même titre que l’ingérence des pouvoir politiques dans le fonctionnement de la justice. C’est un phénomène inquiétant de voir la justice être l’otage d’un certain nombre de groupes socioreligieux ou même du pouvoir politique. La justice est une balance qui ne doit fléchir que sous le coup de la vérité. Il ne devrait pas y avoir un autre levier qui puisse la balancer d’un coté ou de l’autre en dehors de ces exigences. Elle doit être comme la justice de Dieu, qui ne se trompe pas et qui rend la justice dans la plus grande équité. 

Parlons des trois «terroristes marocains» qui étaient vos clients lors de leur procès. Est-ce que le fait que vous les défendiez ne vous met pas en mal avec la société ? 

Nous ne défendons pas les causes conjoncturelles mais des principes immuables qui se rapportent exclusivement à l’être humain. Donc les soubassements et les conséquences futures, vraiment nous les ignorons. A chaque fois que nous sommes devant une atteinte éventuelle d’une violation virtuelle à un droit fondamental de l’homme, nous ferons entendre nos voix. Ceci dit, pour le cas des marocains, il s’agit de les préserver au-delà de toute considération et même de tout ce qu’on peut leur reprocher. Qu’ils soient des tueurs ou des terroristes ou autre, nous devons les soutenir. Car c’est leur intégrité du droit à la vie qui est mis en cause. Vous savez, une personne si elle risque d’être torturée ou de faire l’objet d’une liquidation extrajudiciaire, on est obligé de la soutenir en tant qu’organisation de défense des droits de l’homme. C’est ce qui nous a amené à défendre des sujets qui ont fait polémique comme ce fut le cas avec les homosexuels. En le faisant nous savions que nous ne saurions pas être compris par nos concitoyens. Mais, il fallait nous assumer. Ce qu’on défend n’est pas l’homosexualité mais l’être humain en tant que tel dont nous voulons préserver l’intégrité physique et la dignité. C’est en quelque sorte l’intolérance que nous déplorons de la part de nos concitoyens tout en préservant le droit de la société. 

Un média international a révélé récemment la libération par un pays frontalier de trois islamistes présumés en échange avec des otages espagnols détenus par AQMI. Sont-ils de vos clients ? 

Je ne saurais pas être formel par rapport à cette affirmation. C’est un dossier qui ne nous intéresse que par ses aspects concernant les droits humains. Nous sommes intervenus dans ce dossier sans nous soucier de la réalité de l’accusation même quant à la qualité de terroristes. Personnellement je ne suis pas intéressé si réellement ces trois marocains étaient des terroristes ou pas. Mais je sais par ma science des droits humains qu’aucun pays ne peut extrader une personne vers un pays ou elle risque d’être torturée ou de faire l’objet d’une exécution extrajudiciaire. Comme vous le savez le terrorisme à des connexions et des ramifications qui sont souvent difficiles à cerner. Souvent c’est des affaires comme vous le dites qui se règlent parfois par des chantages ou des renonciations réciproques. Donc tout est possible dans cette affaire. Mais je peux simplement dire que nous sommes au-delà de ces imbroglios qui peuvent arriver dans le règlement de telles affaires et qui souvent sont sous le coup de la raison d’Etat. Quelles que soient les affirmations des uns et des autres nous savons que les Etats ont des intérêts qui leurs sont propres et sont prêts à faire des transactions souvent qui vont au-delà même des personnes concernées. 

Qu’en est-il de votre souhait de faire pression sur le chef de l’Etat pour qu’il ne signe pas le décret d’extradition des trois marocains ? 

J’ai saisi le président de la République de façon indirecte par le biais de la Ministre déléguée chargée des droits humains. Et je lui ai demandé de faire une intercession auprès du président de la République afin qu’on trouve une solution qui puisse être une alternative à l’extradition des trois marocain vers leur pays. J’espère qu’elle a pris bonne note de ma correspondance. Mais en tout cas je n’ai pas reçu de notification me disant qu’ils sont extradés. Donc je garde espoir. 

Lamine Diedhiou 
Source : www.rewmi.com 
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